MERCI !

Allocution de François Margot, conseiller régional de Pays-d’Enhaut Région, à l’occasion de la soirée organisée pour son départ, le 7 décembre 2017

MERCICher président, cher ancien président, chers députés, chers syndics, membres du comité actuels et anciens, chers membres des commissions, chers collègues, chers chanteurs du chœur mixte de L’Etivaz, chers amis,

C’est vraiment incroyable et impressionnant de vous retrouver là, venus non seulement des 4 coins du Pays-d’Enhaut mais aussi de la capitale, de la Vallée de Joux, du Nord vaudois, du Chablais vaudois, du Valais…

 

Quelle surprise, c’est un magnifique cadeau que vous me faîtes ! Vous êtes formidables, merci pour votre présence !

C’est avec beaucoup d’émotion que je reçois votre magnifique accueil ou votre magnifique adieu, et j’en suis tout gêné. J’en suis tout gêné parce que j’aime la justice et c’est un peu injuste d’avoir eu la chance et le privilège d’exercer un métier passionnant et d’en être encore remercié à la fin, alors que tant de gens qui travaillent dans l’ombre mériteraient plus de considérations !

C’est bien à moi chers amis que revient le devoir de vous exprimer toute ma reconnaissance et ma gratitude pour ces 30 ans passés à votre service et à vos côtés ! Si vous avez apprécié cette collaboration c’est parce que vous vous y êtes impliqués, engagés. Nous ne sommes rien sans vous ! Un catalyseur qui se promène dans un milieu où il n’y a pas des éléments prêts à interagir n’a aucun effet, c’est comme s’il n’existait pas. Or notre métier c’est cela : mettre ensemble, faciliter, accompagner, l’accouchement, l’apprentissage ou le deuil, comprendre les phénomènes, les rapports de causalité, les vulgariser, favoriser le dialogue et le débat public… Nous sommes pour cela totalement dépendant des personnes et du climat socio-culturel, qui est favorable ou non à l’exercice de notre métier. Il nous appartient de cultiver un climat favorable, sans aucune exclusivité d’ailleurs, mais c’est tellement plus motivant et efficace de cultiver quand le terreau est fertile.

Le Pays-d’Enhaut est un terreau fertile. Grâce à vous, à votre attachement à cette belle région et à votre engagement pour qu’elle puisse continuer à être un lieu où il fait bon vivre et travailler, au-delà des intérêts particuliers de chacun et en prenant les difficultés qui se présentent à bras le corps, les unes après les autres, en sachant que seules des réponses collectives sont à même d’assurer le développement équilibré d’un territoire.

J’aimerais donc profiter de ce moment particulier pour vous adresser un grand merci et un petit message, avec un regard en arrière sur l’articulation entre l’association de développement régional et le poste que j’ai eu le bonheur d’occuper.

J’ai eu la chance d’arriver au Pays-d’Enhaut en 1985, j’y avais fait un stage en 84, comme jeune agronome du poly de ZH spécialisé en économie rurale et développement régional. L’ADPE avait été fondée 10 ans plus tôt, fruit d’une rencontre entre les pionniers du territoire et les pionniers de la vulgarisation agricole et d’une approche globale et innovatrice, participative, de la problématique du développement des régions de montagne. Sous la houlette de Jean Chevallaz, président fondateur de l’ADPE, les premiers ont créé l’organisation régionale avec le matériel génétique du Pays-d’Enhaut. En regroupant non seulement les communes mais aussi toutes les forces vives du territoire qu’il fallait mobiliser pour infléchir ce terrible phénomène de l’exode rural, qui vide les territoires les plus fragiles de leur substance. Le professeur Jean Vallat et ses assistants de l’institut d’économie rurale (IER) de l’EPFZ, Charly Darberllay et Erwin Stucki, sont venus quant à eux avec des méthodes d’analyse du développement régional et de mobilisation participative, l’autre partie de l’ADN du secrétariat régional. Ce sont eux qui m’ont engagé comme assistant de l’IER, mais basé à Château-d’Oex, alors que s’y déroulait un programme de recherche à l’écoute des habitants, le programme Man and Biosphere, MAB, rattaché à l’UNESCO.

Ensemble ils ont posé des bases solides et toujours actuelles, pour l’ADPE et pour le poste de conseiller régional, créé formellement en 1979 avec Erwin Stucki. Merci à Erwin, et à toutes ces pères fondateurs, qui ont écrit le premier chapitre de l’histoire du secrétariat régional. Je pense à vous avec beaucoup de reconnaissance, y compris a ceux qui m’ont encouragé dans mon parcours et ont entre temps quitté notre bas monde : Jean Vallat, Jean Chevallaz, André Pilet, Jean-Claude Rosat, Marie-Jeanne Allegri, Michel Combremont.

Le deuxième chapitre de l’ADPE commence pour moi en 1987 : je quitte alors l’institut d’économie rurale et le MAB, pour reprendre le poste de conseiller régional en compagnie de SEREC. Je suis immergé dans ce monde créatif et stimulant des commissions de travail qui se mobilisent pour leur coin de pays, et des producteurs de L’Etivaz, pionniers dans leur domaine. Je suis porté par ce mouvement. Mes compétences professionnelles sont aussi sans cesse enrichies par le partage de valeurs avec les collègues de SEREC et les mandats que j’effectue dans mon second mi-temps, notamment en accompagnement des projets de développement local et de décentralisation en Afrique de l’Ouest. A Château-d’Oex l’antenne de l’IER se développe en centre d’étude rurales montagnardes et de l’environnement, CERME, et réunit des compétences très diverses. Du côté des régions de montagne on crée la conférence des secrétaires régionaux qui réunit la cinquantaine de directeurs animateurs travaillant dans ce domaine en Suisse. On créera ici un peu plus tard avec François Parvex CH Regio, l’ancêtre de Regio Suisse. Avec Paul Sauvain et Yvonne Wespi, qui partage nos bureaux à Château-d’Oex, SEREC assure la formation continue et les échanges d’expériences des secrétaires régionaux. La politique suisse de soutien des régions de montagne est un exemple envié au niveau international. Le Pays-d’Enhaut est un des laboratoires où bas le coeur de cette expérience, avec des beaux projets. C’est le chapitre du « Pensez Pays-d’Enhaut », pour décloisonner les esprits, s’élever au-delà de l’esprit de clocher. Quelle stimulation ! Merci à tous les gens qui m’ont formé et enrichi durant cette longue période, producteurs, artisans, personnes actives dans le tourisme et les services locaux, élus communaux, représentants d’associations locales : vous avez été mon école quotidienne, assistés de remarquables homologues cotoyés dans les villages africains et, toujours, de l’échange plus méthodologique avec les collègues de SEREC, des autres régions des régions de montagne de Suisse, du canton, de la coopération au développement et de la recherche.

Mais une phase de perturbations s’annonce : la globalisation accélère le mouvement, remet en question les repères. L’exode rural diminue (en Suisse) mais la primauté du profit et d’une vision du monde qui se réduit à la croissance financière domine la scène. La concentration et les ajustements structurels sont partout imposés comme la réponse aux impératifs de la croissance, quels que soient leurs impacts sur les sociétés, les territoires et l’environnement. Chez nous aussi, les services cantonaux et les entreprises concentrent, quittent nos régions. Le CERME avait déjà fermé, l’antenne de l’IER ayant été déplacée à Lausanne. La « Nouvelle politique régionale » se prépare : les régions de montagne seront rayées de la carte de la politique fédérale en 2007.

Le canton de Vaud réforme ses districts mais il a heureusement une vision différente et, après quelques hésitations, il confirme sa politique de développement économique basée sur les régions, couvrant l’ensemble du territoire cantonal. Leur nombre est réduit à 10 ; la solidarité entre les régions vaudoises et les compétences mutuelles de leurs équipes professionnelles se renforcent avec la création de la CODEV, coordination du développement économique vaudois. L’association régionale du Pays-d’Enhaut est maintenue. L’ADPE a cependant besoin d’un nouveau souffle. Elle fait sa mue en Pays-d’Enhaut Région. Bravo et merci au comité de l’époque, conduit par Christian Raymond, d’avoir persévéré. Merci encore et déjà aux collaborateurs du Service cantonal de l’économie et aux collègues des régions vaudoises. Merci toujours à vous tous qui croyez en vos valeurs et savez l’intérêt qu’il y a à avoir un lieu, une organisation où les partager, les cultiver et les promouvoir, au service de l’intérêt régional, de l’anticipation et de nouveaux projets.

Le dernier chapitre est en train de se terminer. C’est celui de Pays-d’Enhaut Région, qui a commencé en 2009 avec l’engagement d’Eveline Charrière pour renforcer le secrétariat régional. Une dynamique nouvelle est créée. D’un côté l’appui aux entreprises et aux initiatives économiques individuelles se renforce. De l’autre le besoin d’une plateforme régionale s’amplifie : il ne s’agit plus seulement de « penser Pays-d’Enhaut », mais d’intégrer cette nécessité dans d’autres politiques (notamment l’aménagement du territoire) et de la placer dans la perspective de coopérations régionales sur de plus grands périmètres. En particulier la CITAV, communauté d’intérêt touristique des Alpes vaudoises, et le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut (qui m’occupe depuis une douzaine d’années à 60%), mais aussi des organisations cantonales de coopérations au service de nos territoires, tels la CODEV ou Vaud Terroirs. A nouveau le métier change, on est de plus en plus appelés à l’extérieur, et cette adaptation se fait parce qu’on peut partager. Merci à Eveline pour sa collaboration extraordinaire, merci à Pierre Mottier, président, au comité, aux trois syndics, Jean-Pierre Neff, André Reichenbach et Charles-André Ramseier, et aux commissions pour leur engagement au service de la région et pour la confiance qu’ils nous ont accordé. Un merci aussi spécial à Philippe Randin qui a été constant et exemplaire dans son engagement et son enthousiasme, comme député, dans le comité de l’ADPE depuis 1995, puis comme président fondateur du Parc et moteurs de différents projets régionaux importants. Merci aux collègues du Parc naturel et de la vulgarisation agricole, avec lesquels le partage quotidien fait de nos bureaux un véritable laboratoire de la pluridisciplinsrité au service du territoire. Merci à nouveau au SPECo, au canton, aux autorités communales, aux producteurs et à tous les acteurs qui se soucient de l’avenir de la région et s’engagent collectivement à son service. La période actuelle n’est pas facile, mais il y a de très beaux et ambitieux projets sur le métier. Et toujours une belle énergie à travailler ensemble.

J’ai eu un peu de peine à me décider à partir, mais aujourd’hui je remets le gouvernail du secrétariat régional en toute confiance au comité pour sa transmission à Eveline et à Fredéric Delachaux. Ce n’est pas un nouveau chapitre de Pays-d’Enhaut Région que vous allez écrire ensemble, mais un deuxième tome ! Je vous souhaite autant de plaisir que j’en ai eu, y compris dans l’adversité, face à ce très beau et clairvoyant défi que vous vous êtes posé pour l’avenir de notre organisation régionale.

Avant de conclure j’aimerais citer tout spécialement les secrétaires comptables successives du secrétariat régional, que je remercie grandement pour leur travail de l’ombre, très précieux pour la vie de notre association et le soutien au secrétariat régional. Merci pour votre engagement, votre souplesse, votre patience et votre indulgence voire votre tolérance envers ce conseiller régional pas toujours bien organisé, presque toujours à la der. Merci Nicole Pilet, Arlette Hugli, Nicole Schnegg, Mary-Jo Rossier et Dorine Morier.

Merci évidemment encore Eveline, que j’ai coutume de présenter maintenant comme mon bras droit et mon cerveau gauche, tant, Eveline, tu es un pilier de notre secrétariat régional, une collaboratrice sur laquelle je peux toujours compter, avec laquelle je peux tout partager et auprès de laquelle je peux toujours prendre conseil.

J’aimerais remercier aussi Sophie, non seulement d’être la compagne de ma vie, mais aussi parce que tu m’as toujours encouragé dans mon travail malgré ses incidences non négligeables sur notre vie privée. J’aimerais vous dire aussi que Sophie, qui est assistante sociale avec une formation en animation socio-culturelle, a toujours été pour moi une grande inspiration de par son approche respectueuse de chacun, de par sa volonté de créer de la confiance en soi et chercher avec chacun comment mobiliser et valoriser ses ressources cachées, et gagner de l’autonomie pas à pas. Dans la dignité. A l’opposé d’une relation d’assistance qui créerait un oreiller de paresse pour l’assistant comme l’assisté. On peut transposer cette approche respectueuse de la personne vers l’autopromotion des groupes et des territoires fragiles. On ne demande pas l’assistance, mais une juste solidarité, parce que le respect des minorités, des peuples, des équilibres géographiques, et de systèmes agricoles adaptés à leur environnement, dans leurs diversités réciproques, sont dans l’intérêt général de tous. Ne pas demander l’assistance veut aussi dire ne pas se comporter en assisté : il s’agit de se présenter en partenaire, d’argumenter de manière constructive.

La montagne a quasiment disparu des politiques publiques, à l’exception de la politique agricole. On oublie la géographie, la réalité du territoire. On oublie que le temps et l’espace demeurent les fondements de notre vie. On oublie même que l’agriculture ne peut pas se réduire à une branche économique comme une autre et qu’on ne peut pas sacrifier les territoires ruraux sans conséquences dramatiques pour l’alimentation, le dérèglement de la planète, les exclusions sociales et les migrations, qui conduisent à tous les abus et à toutes les radicalisations.

Vous êtes fiers de votre Pays-d’Enaut, ou de la région que vous représentez, et vous avez raison ! Se  battre pour notre territoire, se battre pour l’économie réelle de nos régions et non pas celle qui nourrit les puissant et accélère les déséquilibres planétaires, se battre pour son territoire est juste et important ! Continuez de le faire, mais soyez vigilants : lutter pour son territoire ne signifie jamais élever des barrières à ses frontières ! C’est une démarche collective, de dialogue et ouverte sur le monde.

Le Pays-d’Enhaut, comme d’autres, a un rôle à jouer pour faire comprendre cette articulation entre le local et le global. Car l’ancrage dans un territoire est précieux.

Il est de notre responsabilité de prendre en compte les défis globaux au niveau local, comme il est de notre responsabilité de faire remonter l’expérience de nos territoires fragiles dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. Faire remonter les réalités des territoires dans les politiques publiques et leur application, c’est évidemment le rôle des élus, mais la défense des intérêts de nos régions décentrées passe aussi par notre présence dans les lieux où ces évolutions se préparent. On a de la chance de pouvoir faire remonter nos réalités dans certains gremiums professionnels, avec l’administration ou d’autres organisations intermédiaires, et je peux vous assurer qu’on fait parfois bouger les lignes de front en faveur de nos, de vos, réalités. Mais à nouveau c’est grâce à vous tous. Car quand nous sommes dans ces instances ou discussions c’est toujours vous, votre réalité, votre engagement et votre dignité, Mesdames et Messieurs, que nous avons devant les yeux et qui fondent notre plaidoyer.

Il n’en reste pas moins que défendre le local et la réalité de nos territoires ruraux ne veut pas dire nier la complexité des choses. Il faut au contraire se plonger sans crainte dans cette complexité. Il faut l’analyser pour rester crédibles et pour construire des solutions. Il faut aussi se confronter à la complexité pour mieux se préparer au changement, car le changement est une autre constance à laquelle il serait vain de vouloir échapper !

Défendre le local c’est aussi développer la solidarité avec d’autres territoires qui font pareil, et, de nouveau, sans s’arrêter aux frontières. Seul on n’est rien, c’est l’union qui fait la force et pour cela il faut s’intéresser aux autres.

Pour conclure, après 32 ans d’observation attentive et privilégiée du Pays-d’Enhaut, j’aimerais relever que l’énergie collective que cette région sait déployer pour sa vitalité est exemplaire et enviable. C’est un de ses traits de caractère, elle fait réellement partie de ses gênes : je pense qu’on devrait l’élever au rang de traditions vivante du canton ! A l’image de ce que le Musée du Pays-d’Enhaut est à la tradition vivante du découpage, Pays-d’Enhaut Région contribue à l’animation régionale comme un dépositaire privilégié de cette énergie collective. Mais elle ne lui appartient pas, elle est collective, justement, et elle vit grâce à une multitude d’acteurs. C’est votre volonté de travailler ensemble, de vous serrer les coudes, de rechercher les coopérations pour mettre en place des solutions, innover, s’adapter au contexte changeant sans perdre son âme. Continuez donc tous tant que vous êtes à faire vivre cette volonté collective, à dialoguer et construire par-dessus les difficultés.

Longue vie à votre belle énergie, longue vie à votre organisation régionale !

Merci pour cette belle aventure, merci infiniment pour cette magnifique soirée, pour votre présence et un immense merci au comité d’organisation qui est derrière cette mémorable surprise !

François

Roc et Neige, Château-d’Oex, le 7 décembre 2017

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